La nuit me dicte
Parfois la nuit m'alcoolise.
Je m'y
localise comme sur une carte privée d'inscription. N'y sont mentionnés que les
dénivellations et les chemins communaux. C'est une carte d'état majeur sans directions
indiquées. J'y erre en indolence, j'y vois mes prairies, tes monuments, nos
chapelles, et m'y rejoignent des envies de visiter au hasard des croisées.
Gamin, je
m'orientais à l'intuition sans suivre les panneaux.
La nuit me
dicte une conduite floue, j'y entrevois des tas de brièvetés dans mon ébriété de
toi.
Il y a ta ligne et je suis une courbe. Alors nos routes diffèrent sur cette
même carte, pourtant l'on se repère à la même échelle. En
parallèles, proches ou confondues, la coïncidence n'aurait jamais eu lieu ou
aurait été infinie jusqu'à s'y perdre, sûrement. Mais ta ligne et ma courbe se
croisent juste là.
A moins de
jouer avec nos x et nos y, l'intersection sera un nombre de points déterminé
par nos soins, sans segment commun. On peut marquer chaque point d'une croix,
en noter les coordonnées et s'en faire une représentation graphique soignée. Sans perdre nos propres schémas, je crois.
Gamin, les
sciences m'étaient plus instinctives que les mots. La nuit me
dicte nos fonctions, un système de deux équations à deux inconnues, rien de plus
simple en début de conte. Mais nos nuits nous dictent
une troisième inconnue…
Et la nuit me
dicte ses mélodies et ses voix. Les rondes, bassement posées ou aériennes, qui m'enterrent
ou m'envolent l'âme. Et surtout les plus tranchantes, aux intonations acérées qui
me poignardent l'émotion en plein ventre.
Tout se
croise, s'étire et se déchire, puis se complète pour me distiller au creux de l'oreille
la moindre bribe de ta voix. Et nos voies se croisent, s'étirent et se
déchirent, puis se complètent alors que se maquillent mes yeux d'un sommeil à craindre
bride sur ma joie. Ma joie. Celle qui jouirait du plus grand de mes désirs, savoir
m'immiscer sans danger pour toi.
Si tu
savais gamine, combien et à quel point ta nuit m'addicte…