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immixtion
14 février 2010

Vain saint latent

J’aurais tant voulu aimer juste ; j’aurais voulu juste aimer.
Le malheur est que l’amour ne suffit pas. Il souffre de ce que l’on attend de lui, de ce que l’on veut en faire ou en défaire, de ce qu’il pourrait bien induire et de ce que l’on en déduit.  Il est terrible cet amour à nous faire oublier qu’il n’a besoin d’aucune adjonction, et que, pire, le moindre besoin d’un plus l’affaiblit déjà. Cet amour si pervers nous oppresse par l’envie de tout partager, effaçant la conviction que l’on avait déjà qu’à tout partager, il ne reste rien à échanger. Il n’a aucune honte à omettre nos dispositions passées, à changer nos jamais en peut-être et nos toujours en déceptions. L’amour nous cache qu’il n’a pas les besoins de toutes nos envies, bien au contraire. Pour lui on est capable de renier ses convictions, et par là même on le détruit. On ne sait ni aimer ni se sentir aimé si l’on n’est plus ; les amoureuses concessions auront la fâcheuse manie de se transformer en affreuses contraintes, il n’existe pas de preuve d’amour. Voir son amour, aussi formidable soit-il, ne plus remplir entièrement l’espérance de l’être aimé, c’est déjà mourir, c’est s’octroyer le reproche le plus faramineux. La pièce ne devrait pas se jouer aussi tragiquement en une unité de lieu, de temps et d’action ; on y perd la déraison, le vertige des accélérations et des tempêtes, tout autant que le ravissement et la béatitude. Et lorsque l’on commence à s’interroger sur la solution, c’est que déjà la meilleure s’est évanouie. On finit par simplement choisir la moins mauvaise, en une fraction de seconde, un coup de foudre à rebours.

Tout ça me traverse, me bouleverse et me retient encore un instant interminable dans ce prélude au sommeil. Et puis, ésotérique et salvateur, mon amour s’aperçoit qu’il ne ressent même plus le besoin d’être vécu pour exister, il plonge alors dans l'onirisme de son éternité.

Je ne sais pas combien de temps je reste comme ça, quand elle entre, comme on pénètre un lieu sacré, le regard accroché au vide et l’esprit déjà dégagé du rituel. Habité par la nécessité de ne pas faillir, son corps nu s’habille d’un doux halo qui semble un nimbe caressant une nymphe. Elle s’immobilise à peine passé le seuil et me contemple, allongé sur le dos comme une vierge offerte au sacrifice. Dans la pénombre qui entoure sa main droite, un reflet jaillit du tranchant et jette à sa hanche un faisceau évanescent. La lame est belle et fine, pourtant mon frisson vient de sa peau. Inutile et fascinant, son index gauche se porte devant ses lèvres, mais je n’ai déjà plus à cet instant la conscience de l’existence des mots. L’instant d’après elle se tient là, debout, tout près, me caresse de la pointe et me rend aussi nu qu’elle. Je ne l’ai pas vue s’avancer. L’instant d’après elle me chevauche, se penche un peu et m’offre une image effroyablement exquise : son visage clair, assombri du crépuscule de ses cheveux retombant tout autour, avec dans les yeux tout ce que je sais déjà. Je ne l’avais pas vue m’enjamber. L’instant d’après je la sens sucer mon sang sur mon cœur, je ne l’ai pas vue me piquer. Ses mains commencent ensuite à serrer doucement ma gorge ; le pommeau pointu bien calé contre son cœur, elle pose la pointe sur la piqure faite sur le mien. Ses mains serrent encore et ses lèvres se rapprochent des miennes, la pression de son corps fait alors couler un peu de son sang jusqu’au mien. Un instant d’une jouissance ultime, à ressentir tout, à nouveau, d’un coup, les plus belles émotions et les sentiments les plus clairs. A sentir son parfum aussi.
Cet instant-là est la prémisse majeure, l’éternité ne se vit pas. L’instant suivant est la mineure, sa langue vient lécher mes lèvres et nos bouches se retrouvent, notre amour est bel et bien éternel. Alors ses mains se desserrent, son corps devient plus pesant et fait glisser la lame jusqu’à la garde. Nos lèvres restent collées,  je ne l’avais pas vue déposer le poison sur les miennes.
L’éternité qui suit en conclut que notre amour ne se vit pas, mais pour elle, il suffira.

Parce que les fleurs, c’est périssable.

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